Le mouvement Nabi ?
Extrait du livre "Du religieux dans l'art" (page 165-166) par Alain Santacreu, contre littérature aux Éditions L'Harmattan.
Cercle ou école, confrérie ou réunion amicale, le mouvement des Nabis est issu de la rencontre directe entre un élève de l'Académie Julian, Paul Sérusier et Gauguin, ce dernier alors maître de l'école de Pont-Aven en Bretagne.
Quand durant l'été 1888 il réalise "Le Talisman" (toile ci-contre) Sérusier y applique à la lettre les recommandations de Gauguin, se débarrasser de la contrainte imitative, user de couleurs pures et vives, exagérer ses visions pour conférer à sa peinture une logique propre qui soit décorative et symbolique.
Ce genre de nouveau réalisme (réalisme sacré) enflamment les passions de ses condisciples à l'Académie, parmi lesquels Maurice Denis, Vuillard, Bonnard, Ibels ou encore Valloton.
Sur une suggestion de l'orientalisant Auguste Cazalis, les jeune gens adoptent illico le nom hébreu de nabis ou nebiim, c'est à dire prophète, illuminé. Celui qui reçoit les paroles de l'au-delà, l'inspiré de Dieu.
Pendant dix années, les Nabis produiront peinture et affiches, annonçant les fauve autant que l'abstraction. Ils constituent en France le véritable tournant de vers la peinture du XXème siècle, débarrassée des charges pompières et néoclassiques. Pendant ces dix années, c'est le chrétien Maurice Denis qui sera le théoricien du mouvement, définissant notamment la peinture comme étant d'abord "une succession de couleurs en un certains ordre assemblées". Les influences sont multiples, de la recherche de l'Art Sacré au Japonisme qui les conduira par ses arabesques vers l'Art Nouveau. L'Art doit être conçu comme une unité, c'est leur crédo: "un art qui soit celui de la vie quotidienne et symboliste en même temps."
Et quoi de plus catholique en effet que cette recherche de la sanctification de la vie commune, où sont appelés à la barre l'artiste et l'artisan pour ne former plus qu'un, où les mythes et légendes médiévaux ou antiques, réinterprétés descendent dans la rue et entrent dans l'atelier?
C'est donner au peuple ce qu'il recherche vraiment, le vrai pain, l'eau véritable pour étancher sa soif. On est loin du marxisme de l'époque, entièrement matérialiste et répudiant tout art comme bourgeois, avant que la Révolution léniniste n'en forge un à sa mesure.
Art Décoratifs, Arts Appliqués, symbolisme, mythes et légendes : ce sont les maîtres mots de cette aventure. Les Nabis sont les continuateurs audacieux de l'effort de Gauguin pour rénover l'Art sacré.
À rebours de l'impressionnisme qui entreprend d'abolir le sujet au profit d'une exaltation de l'expérience rétinienne, ils font de la peinture un lieu d'interrogation du sacré ; pour eux, le scientisme, le positivisme triomphant d'Auguste Comte en cette fin de XIXème siècle sont impuissants à expliquer le monde, et il est nécessaire de rechercher le sens de notre existence "au centre mystérieux de la pensée", selon les termes d'Odilon Redon.
Affichiste comme leur ami Lautrec, les Nabis participeront aussi à l'aventure des théâtres d'avant-garde (décors de Vuillard, de Sérusier, de Denis pour des metteurs en scène tels que Lugné-Poe ou André Antoine).
Si le théoricien Maurice Denis s'aventure de plus en plus vers l'Art italien de Fra Angelico, les autres tendront vers une représentation de la misère glorifiée. En réaction contre l'impressionnisme et le naturalisme, les Nabis libérant la peinture, des entraves du réalisme, veulent lui redonner une âme. Le peintre Henri Gabriel Ibels écrira : "Ensemble, nous avons méprisé l'école et les écoles, les rapins, leurs traditions, leurs farces et leurs bals inutilement nudistes. Ensemble nous nous sommes sérieusement amusés."
Ils seront malheureusement trahis par les cubistes dix ans plus tard, par les Picasso et les Braque, techniciens de génie - justement : techniciens.
Par la suite la grande déflagration du XXème siècle se produira dans la cage des Fauves en 1905, où toute cette tension artistique et picturale accumulée éclatera dans un gigantesque feu d'artifice. Les grands révoltés anarchistes sans Dieu que furent Vlaminck et Derain finiront en 1941 dans un train pour l'Allemagne qui n'allait certes pas à Auschwitz.
Picasso, Braque ou Duchamp enfermeront la puissance initiale de cette dynamite da,s des formes extraordinaires, cependant closes sur elle-mêmes, produisant l'Art autotélique arraché au sacré dont la post-modernité cherche toujours à s'extirper. Mais il y aura aussi quelques figure "comme les signaux venus d'une vie plus intense qui n'a pas vraiment été trouvée" (Guy Debord, Critique de la séparation, court métrage 1961) qui perpétueront l'antique alliance de la liberté et du sacré.
La lumière est prédominante dans les tableaux des nabis, préfigurant la lumière spirituelle...
L'image plus haut est une peinture de Paul Sérusier, «Le Talisman» (1888) Huile sur bois, dim. 27,0 × 21,5 cm au Musée D'Orsay à Paris.
Et ci-dessous, on peut voir une peinture de Maurice Denis, «Avril (Les Anémones)» (1891) Collection particulière, Huile sur toile signée en bas à droite verticalement: MAVDENIS 91 et inscription vers le haut sur l’arbre: AVRIL.
Celui que l’on surnommait «le Nabi aux belles icônes» se voit consacrer une exposition inédite, mettant en avant son travail peu connu de peintre décorateur. Ayant abordé le printemps dans de nombreuses toiles, on pourra y découvrir la poétique Avril (Les Anémones), qui montre la nature comme élément décoratif à part entière. Complété de nombreux documents, le musée nous fait découvrir, entres autres, ses carnets de croquis, où l’on observe ses premières inspirations émaner au sein de ses promenades dans la forêt de Saint-Germain-en-Laye.
Concernant la toile, Maurice Denis aimait les promenades solitaires dans la forêt de Saint-Germain en Laye, particulièrement au printemps, et celle-ci sera le cadre de plusieurs tableaux importants – tel le Jeu de volant. Les carnets de croquis de ses quinze ans comportent de très nombreuses études d’arbres, qu’il faut dessiner «aussi ressemblants que si c’étaient des bonshommes», conseillera t-il plus tard aux jeunes lecteurs de ses Premiers paysages. La forêt est parfois un motif de tableau, comme dans La forêt aux anémones (1889, Collection Particulière) où des arbres massifs et tortueux, couverts de lierre, s’élèvent entre des arbustes squelettiques sur un tapis de fleurs blanches. Mais, la plupart du temps, la forêt présente pour Denis un lieu de projections mentales. Ainsi, dans cet Avril, le peintre situe-t-il dans le même paysage « un chemin de la vie » qui serpente entre les ronces du mal et de la souffrance – à peine indiquées – et un arbuste rose porteur de floraisons futures.
Au premier plan, une jeune fille cueille des fleurs; plus loin, elle est figurée en vêtement blanc – de fiançailles? – sur un chemin qui conduit à l’arrière-plan, vers un ciel à peine entrevu. Au fond se profile la silhouette d’un couple – traduction d’un espoir? Les couleurs volontairement non réalistes, les lignes sinueuses et le pointillé ornemental accentuent le caractère décoratif de l’oeuvre, qui propose une vision idéaliste du déroulement de la vie. Ce tableau, composé alors qu’il n’a que vingt ans, est à l’origine de plusieurs thèmes symbolistes que l’artiste tout au long de sa vie.
L’année suivante, Denis reprendra le même sujet et les mêmes attitudes pour l’un des quatre panneaux destinés à une chambre de jeune fille, également titré Avril. Le thème du printemps annonce Figures dans un paysage de printemps, Virginal printemps ou encore le premier plafond pour Chausson. Quant aux thèmes de la cueillette de la vie et de la jeunesse devant laquelle s’ouvrent les chemins de l’existence, on les retrouve dans les recherches pour l’illustration de la Sagesse de Verlaine, ainsi que dans le Paravent aux colombes. Bien des années plus tard, c’est en regardant ses enfants que Denis les peindra, dans La Forêt printanière, cueillette des anémones (1909, Collection Particulière)
Acheté à l’origine par le critique Arsène Alexandre, ce tableau historique sera acquis vers 1910 par le financier Adolphe Stoclet, lors de la construction, confiée à Josef Hoffmann, de son palais Art nouveau à Bruxelles: il prendra place dans un petit salon, auprès du portrait par Théo Van Rysselberghe et à proximité du fameux décor en mosaïque de la salle à manger dessiné par Gustav Klimt. (Source Fabienne Stahl)
Maurice Denis (1870-1943)
C'est l’un des principaux membres du groupe des Nabis dont il s’est fait le théoricien. Très impliqué dans les débats esthétiques de son temps, Denis peint dans les années 1890 des tableaux audacieux où les rythmes, la couleur posée en aplats, la composition donnent au tableau une force décorative. Influencé par l’art italien ancien, il s’oriente ensuite vers de grandes compositions plus classiques.
EXPO
http://www.mdig.fr/spip.php?rubrique192
Du 1er avril – 15 juillet 2012 | Maurice Denis, L’Éternel Printemps
Le musée des impressionnismes Giverny présente une exposition consacrée au peintre nabi Maurice Denis (1870-1943) sur le thème du printemps.
L’exposition réunit quatre-vingts oeuvres et bénéficie de prêts provenant des collections publiques et privées, parmi les plus prestigieuses, et présentera des oeuvres inédites ou très rarement présentées en France.
Elle s’organise en trois sections principales : l’éveil de la nature au printemps ; le printemps chrétien et le paradis terrestre ; les prémices de l’amour et le printemps de la vie. Elle se propose également de révéler, tout au long du parcours, un aspect peu connu de la production de Maurice Denis : son talent de peintre décorateur, à travers la reconstitution d’importants ensembles décoratifs.